20.04.2012

 "Parti, parti, parti vers l’autre rive, débarqué sur l’autre rive ..."


Gate, gate, paragate, parasamgate, bodhi, svâhâ!”, c’est-à-dire  “Parti, parti, parti vers l’autre rive, débarqué sur l’autre rive, ô Eveil,  il en est ainsi !” !  Ce mantra,  rédigé en sanskrit , clôture le plus court sûtra  (texte ) de la foisonnante  “littérature” Prajnâ-Pâramitâ du Grand Véhicule bouddhique. Ce  texte qu’on nomme si bien Prajnâ-Pâramitâ-Hrdaya-Sûtra, c’est-à-dire le Coeur de la Vertu de Sagesse” et dont j’ai proposé une traduction en français il y a près de 40 ans ...concerne ce qui devrait être l’objectif principal des êtres humains pour les Bouddhistes, à savoir l’Eveil total !

En 1974, Patrick Kauffmann, le Directeur de la publication de la  modeste revue La Pensée bouddhique  me demandait de rédiger un article pour le numéro 4 . Quelle fierté et quelle excitation pour le jeune étudiant en Philosophie bouddhique que j’étais à l’époque : écrire aux côtés du Maître Zen Deshimaru! Je lui proposai donc de “revisiter” un petit texte, dont
j’ai découvert quelques  années plus tard qu’il représentait pour les adeptes du Grand Véhicule ce qu’est le “Pater Noster” ou l’ “Ave Maria” pour les  catholiques!...

C’était il y a 38 ans ! Pourquoi  parler aujourd’hui de ce mantra qui ne peut intéresser que quelques passionnés de sagesse bouddhique ?  Parce que ce que j’ai vécu il y a dix jours me montre que rien dans la vie n’est inutile, tout a un sens et une fonction précis, tout est approprié ! Le 9 avril 2012, mon beau-père Zeki Bey, un homme remarquablement bon et juste, s’est éteint, comme le fait une bougie lorsque la cire s’est consumée. Une espèce d’êtres humains en voie de disparition, dans tous les sens du terme, puisqu’il appartenait à la "tribu" caucasienne des Ubuh, un des derniers survivants de la tragique déportation ( on parle même de génocide ! ) des Circassiens au XIXème siècle. Vivre la mort en direct, la voir en face , est un grand privilège, même si l’événement est fortement éprouvant .

Quel lien avec ce mantra? Jeune, quand j’étudiais la philosophie bouddhique, j’étais très fier, parce que j’avais l’impression d’être quelqu’un de “différent” à qui est révélée une connaissance ardue et hermétique. J’avais une approche essentiellement intellectuelle, mentale ! Aujourd’hui, avec le recul de l’âge, cette approche me semble prétentieuse et je préfère vivre tout ce que j’ai étudié pendant tant d’années !

J’ai vu mon beau-père quitter notre monde, cette rive-ci, sur laquelle nous, les êtres encore vivants et incarnés, nous nous trouvons... pour rejoindre l’autre rive, celle que nous ne pouvons connaître vraiment , celle que nous ne pouvons qu’imaginer si nous avons foi en un au-delà !

Et j’ai compris quelque chose de fondamental: pour pouvoir “vaincre la mort”, il nous faut cesser de la craindre...et la seule voie possible est celle du détachement. Se détacher de tout !
Le plus fort des attachements est constitué non pas par les possessions matérielles mais par les liens affectifs et mentaux. Car, être détaché de tout, même et y compris de nos “croyances” et opinions, est la voie de la liberté totale. En somme, il nous faut “mourir” avant la mort; pour cela, il nous suffit de la prendre “de vitesse”. Ainsi, quand viendra le moment de notre mort, nous serons parfaitement sereins et détachés. Cela ne peut se faire que par une pratique de déconditionnement progressif de tous nos attachements.

Avec cet événement, j’ai , en effet, compris que la mort doit être une sorte d’illumination, l’éveil à une autre réalité !

Vivre la mort d’un être cher et proche m’a rapproché davantage de la sagesse bouddhique, qui a  une vision profondément juste et “réaliste” de cet événement, vision dont nos sociétés modernes déconnectées de la Nature nous ont éloignés. Certes, les Bouddistes, par l’intermédiaire des Tibétains, sont des “spécialistes” dans ce domaine, puisqu’à la suite des Egyptiens, ils nous ont proposé leur fameux Bardo Thödol  ( Le livre des morts tibétain ),
“revisité”  en 1993 par Sogyal Rinpoché dans son ouvrage intitulé Le livre tibétain de la vie et de la mort  ( Editions de la Table Ronde ).

Je ne tiens pas à reprendre ici les “poncifs” de la Philosophie  classique concernant  le thème de la mort, je conseillerais plutôt de l’aborder avec un autre regard, moins conventionnel et peut-être tout aussi instructif, celui que nous proposent des médecins occidentaux contemporains, comme l’américain Dr Moody dans son célèbre livre La vie après la vie
( Ed. Laffont ) ou bien le Dr Elisabeth Kübler-Ross en Suisse , ou encore l’infirmière Maguy Lebrun en France. Enfin, pour ceux que la littérature de “canalisation” appelée New Age           ne rebute pas, je leur conseille de lire le passionnant ouvrage de Neale Donald  Walsch
intitulé Retour à Dieu, une vie sans fin ( Editions Ariane,2006, Canada). Ils y touveront
peut-être ce que nous cherchons tous sans l’avouer : un réconfort !

Güle güle, Zeki Bey, görüşmek uzere !  Au-revoir, Monsieur Zeki et à bientôt !