9.10.2013

Vivre la solitude, le silence et le vide !



Aujourd'hui, je parlerai de trois “aventures” pour mettre en valeur ce qu'elles ont de commun dans l'expérience limite et absolue que vit chacun(e) des protagonistes. Mais aussi, parce que je sais que ce qu'ils ont vécu, ils l'ont fait pour et au nom de tout le genre humain. C'est en cela que leur expérience est exemplaire, instructive, fructueuse et  bénéfique pour nous tous. C'est pourquoi leur aventure me touche et peut vous intéresser.

Trois ouvrages sur la vie d'ermite : deux expériences de voyageurs-écrivains, une "religieuse-spirituelle". Deux cabanes, une grotte . Deux hommes, une femme.

Premier ouvrage: Solitudes australes. Chronique de la cabane retrouvée ( Editions Transboréal, 2012 ) qui raconte l'expérience de David Lefèvre reparti vers la Patagonie qu'il aime (l'île de Chiloë, au Chili) pour nous délivrer un message bien âpre, rugueux, comme peut l'être une vie au grand air, à essayer de subsister, de (sur)vivre au sein d'une nature souvent bien hostile et parfois cruelle envers l'homme.  Récit parfois amer, mordant, voire exaspérant par moments, mais sans concessions pour nous autres hommes vivant dans et par un système de consommation, de gaspillage et de reniements , réflexion méticuleuse, comme peut l'être une vie consacrée "à l'essentiel et au suffisant", selon son expression. "Ici, le monde des artifices s'estompe, écrit-il. On ne peut se mentir."  La personne qui vit une telle expérience se trouve au contact de trois phénomènes essentiels liés l'un à l'autre: la solitude, le silence et le vide !

Deuxième ouvrage, deuxième expérience, mais cette fois-ci racontée par une tierce personne.Un ermitage dans la neige de Vicki Mc Kenzie ( Editions Nil, 2000 pour la version en français ) nous parle de Tendzin Palmö, alias Diane Perry, une anglaise qui, dans les années 1960, va renoncer à tout:  une vie tranquille avec sa mère à Londres,  un mariage prometteur avec un Japonais, pour suivre un appel, une vocation, celle de nonne bouddhiste. Pas n'importe quelle nonne: une nonne ermite, phénomène extrêmement rare. Pendant de nombreuses années, elle vivra seule dans une grotte sommairement aménagée à plus de 4000 mètres d'altitude, tout cela pour suivre les traces des plus secrets des ermites, des moins connues  et pourtant des plus accomplies des yoginis (yogis au féminin) indiennes et tibétaines. Au bout de tous ces sacrifices et de ces renoncements, au bout de cette solitude et de ce vide extrêmes, le retour au milieu de ses semblables pour accomplir le plus difficile: construire un monastère pour moniales au nord de l'Inde afin de permettre l'éclosion d'autres vocations semblables à la sienne. Et surtout bousculer la hiérarchie  de la tradition bouddhiste afin de faire accepter l'égalité des sexes dans ce domaine si particulier qu'est le monde des moines et des moniales. Il a fallu vivre  la solitude, le silence et le vide !

Troisième ouvrage, autre aventure, qui ressemble fort à la première, avec cette différence qu'elle a pour cadre l'hémisphère nord et le plus grand domaine terrestre sauvage du monde : la Sibérie. Dans les forêts de Sibérie ( Editions Gallimard, Collection Folio, 2011 ), Sylvain Tesson  nous explique pourquoi il a choisi de vivre quasiment seul dans une petite cabane au bord du Lac Baïkal,de février à juillet 2010: "L'immobilité m'a apporté ce que le voyage ne m'apportait plus.", écrit-il."J'ai atteint le débarcadère de ma vie. Je vais enfin savoir si j'ai une vie intérieure." Le fait que quelqu'un soit allé jusqu'au bout du froid sibérien pour répondre à cette question montre bien que c'est  cela qui nous obsède nous, êtres humains. Avons-nous une vie intérieure ? Si oui, quelle est-elle ? A quoi ressemble-t-elle ? Alors, il faut affronter  la solitude, le silence et le vide ! 

Trois récits, trois aventures. Bien sûr, les expériences ne sont pas totalement identiques, mais elles procèdent, au départ, d'un même élan: celui de se mettre en retrait du monde pour un certain temps ( Sylvain Tesson et Daniel Lefèvre ) ou pour toujours (Tendzin Palmö ), avec à la clé une transformation profonde de soi. Qu'ont-elles de commun ? Le simple fait d'aller à l'essentiel,  au fond ou au bout de soi-même, au-delà de nos masques et de nos rôles.  Hormis le courage qu'il faut posséder pour aller au bout de ses engagements envers soi-même dans des conditions de vie très spartiates, voire extrêmes, ces trois retraites constituent à n'en pas douter un éloignement et/ou un renoncement partiel ou total au monde et à ses habitudes, ses règles, son bruit , son trop-plein et sa foule...

Qu’est-ce que le silence ? L’absence de bruit, une “plage sonore vide” avec quelques sons bien identifiés qui prennent soudain toute leur valeur. C’est  aussi la volonté de faire taire la voix de l'”ego/mental” ( qu'il s'agit de bien distinguer de ce qu'on appelle “soi” ou “le soi” !), de ses radotages, de ses récriminations, de ses pleurnicheries, de ses marchandages.

Et la solitude ? L'absence d'autres êtres humains ?  On est bien forcé alors de buter contre soi-même... et d’apprendre à dialoguer avec soi-même, à vivre avec soi-même et en soi-même.


Pourquoi parler du vide?  Parce qu’avec ces deux ingrédients que sont le silence et la solitude, il y a de fortes chances de ressentir un certain vide, une absence, lesquels doivent nous faire méditer sur ce qu’est la Vie, le monde et notre rapport à lui, nous-mêmes et les autres, leur absence ainsi que nos rapport à eux. Bref, le vide comme une grande opération de nettoyage et de désintoxication, pour mettre en valeur la simplicité et la sobriété dans nos existences. Le vide ? C'est le grand malentendu  quand on se réfère à  la sagesse bouddhique. Le vide, est-ce le grand trou noir, le rien , le néant , l'obscurité totale , l'absence de quoi que  ce soit ? Dans ce cas, effectivement, le terme a une connotation terrifiante et il ne peut que susciter angoisse, vertige et sueurs froides...Ou bien est-ce ce qui est creux, ce qui ne contient rien, ou plutôt ce qui est absent de toute détermination et de tout contenu ?

Alors, faire le vide, c'est enlever  tout  ce qui, en nous, est inutile et encombrant, ce qui prend trop de place et nous paralyse. Faire le vide...en soi est donc un acte éminemment salutaire et libérateur, pour ne pas dire thérapeutique. C'est alléger notre espace intérieur pour faire de la place. A quoi ? A ce qui est neuf et spontané. C’est être  à l'écoute de qui s'en vient, de l'à-venir.

Pourquoi s'intéresser autant et lire à la suite trois ouvrages racontant trois expériences de solitude, me direz-vous? Je crois que vous avez déjà deviné la réponse: parce qu'ils renvoient à ma propre expérience de personne à la retraite. C'est d'ailleurs pour cette raison que je les ai choisis maintenant comme compagnons de lecture. Oui, je sais , dans nos sociétés policées, fonctionnelles et utilitaristes, prendre sa retraite est presqu'un acte honteux, sociologiquement et psychologiquement parlant, parce qu'il contient un message subliminal: celui d'une personne devenue  désormais impotente, inutile, hors circuit et hors d'usage.  La retraite ? Elle contient ces trois ingrédients: la solitude, le silence et le vide. La solitude qui conduit au silence lequel nous permet de faire connaissance avec le vide, c'est-à-dire avec l'absence. Mais, attention, la retraite n'est pas une défaite ou une débâcle. Ce n'est pas non plus un refuge ou un rejet quelconque. La retraite est  faite pour se recueillir et se recentrer sur soi, comme l'affirme avec sagesse la tradition indienne.

Oui, la solitude est bonne et nécessaire, c’est le temps retrouvé ! Le silence est thérapeutique et revigorant, c’est le temps suspendu . Et le vide est...ce qu'il est: une ouverture, c’est-à-dire le temps aboli !

La solitude, le silence et le vide. Ces trois ingrédients dans nos existences sont précieux et nécessaires , aujourd'hui plus que jamais, sur notre planète. Ils sont ce qui manque à la plus grande partie de l'humanité: ce sont de vrais trésors...à préserver mais surtout à expérimenter. Car, je reste persuadé que nous pouvons tous, qui que nous soyons et où que nous soyons, vivre chaque jour  ne serait-ce qu'un petit instant de grâce et de sérénité, de silence et de joie...grâce à la solitude, au silence et au vide.

Bien fraternellement, compagnes et compagnons de voyage...