24.02.2014

Politique et spiritualité: le conformisme (a)politique


            Le conformisme et le totalitarisme sont les deux dangers qui menacent l’être humain à notre époque moderne. C’est ce que pensait déjà, à la fin de années 60,  Viktor Frankl, le fondateur de la logothérapie. En écrivant cela, il avait, selon moi, déjà compris ce qui empêche l’être humain d’être lui-même, c’est-à-dire d’être responsable et libre de ses actes et pensées. Dans le premier cas ( le conformisme ), “il peut désirer faire ce que d’autres personnes font”`; dans le second cas ( le totalitarisme ), “il peut faire ce que d’autres personnes désirent qu’il fasse” (1). Cette situation de dépendance psycho-mentale, toujours et plus que jamais d’actualité, est due, selon le neuro-psychiatre autrichien, à un état de “vide existentiel”, que je nommerai, pour ma part, vide spirituel. Car, c’est bien de cela dont il s’agit et Viktor Frankl ne me désapprouverait probablement pas, lui, qui en tant que psychiatre, est  l’un des seuls à parler de troubles “noogènes”, autrement dit de problèmes liés à un manque de sens , c’est-à-dire à un  profond désarroi spirituel. Diagnostiquée il y a déjà plus de 60/70 ans, cette situation est encore plus criante et évidente aujourd’hui. C’est sur ce point que Viktor Frankl est très moderne.
    
Mais, que le psychiatre autrichien me pardonne, j’irai plus loin en affirmant que de nos jours
ces deux écueils peuvent se fondre en un seul que j’appellerai le “conformisme totalitaire” tellement notre société moderne a fait accepter à tous les esprits un certain nombre de faits ou de “réalités” qui ne sont d’ailleurs plus discutés ou contestés, tels le système économique que l’on baptise aujourd’hui du nom de “libéralisme économique”, c’est-à-dire le laisser faire ou le laisser aller généralisé, système, on le voit chaque jour, éminemment destructeur non seulement de vies humaines mais aussi de valeurs essentielles et élevées, celles justement qui, au-delà de la morale de façade, nous propose une vraie dimension spirituelle et une existence qui ait du sens ( pour reprendre les termes  de Viktor Frankl ) !

            Voici une bonne introduction à notre  débat d’aujourd’hui : peut-on mêler, dans une même  réflexion, politique et spiritualité sans courir le risque de se fourvoyer ? A priori, on pourrait penser que ces deux domaines ne font pas bon ménage et cela n’est probablement pas faux. Mais, le fait de suivre une voie spirituelle nous interdit-il de nous intéresser à la politique ? Peut-être pas ! En tout cas, cela implique de prendre de la hauteur face à l’événement , quel qu’il soit, attitude qui n’est pas toujours facile à maintenir lorsqu’on s’occupe de politique, car cette dernière nous  pousse à une attitude passionnée et partisane. Si la voie spirituelle exige de nous de prendre nos distances avec notre petite personnalité, la seconde, au contraire, nous entraîne bien souvent à faire parler notre ego!

Qu’est-ce que la spiritualité sinon le fait de s’affronter soi-même avec les questions essentielles concernant notre existence , notre place et le sens de notre vie dans le monde ? En réalité, s’intéresser à la spiritualité exige de l’homme un grand courage, car il n’est pas toujours facile de s’interroger sur ces questions dans le déroulement concret de notre existence quotidienne. Voir le monde, la vie, les autres et soi-même selon une perspective spirituelle demande de nous que nous acceptions avec humilité que la Vie est bien surprenante et mystérieuse, qu’elle ne se résume pas à quelques schémas analytiques matérialistes et rationalistes et surtout que l’être humain est plus qu’un ensemble psycho-somatique façonné par l’environnement et une hérédité génétique. Il nous faut  vivre et explorer cette réalité avec la plus grande ouverture d'esprit qui soit. Car, s’il y a bien quelque chose d’éloigné  de la spiritualité, c’est l’intellect qui, avec son orgueil suffisant, prétend tout expliquer à partir de raisonnements bien “huilés” et pertinents. La Vie  se moque de toutes nos prétentions et nous renvoie à chaque instant à notre état de déréliction, qu’il nous faut de toute facon accepter au début de notre cheminement, quoi qu’on fasse, quoi qu’on pense, et quel que soit le système de croyance auquel on se réfère et auquel on se raccroche bien souvent pour éviter de se poser les vraies questions dans notre "irréductible solitude".

Lorsqu’on emprunte la voie spirituelle ou lorsqu’on se réfère à la spiritualité et qu’on la place au centre de notre existence, il nous faut être très prudent si l'on s’intéresse à la politique, qu’on s’essaye à une analyse ou qu’on émette des affirmations catégoriques et péremptoires, car on court souvent le risque d’être “à côté de la plaque” ou de produire un discours et une réflexion inadéquates, voire ignorantes...Certes, la voie spirituelle ne signifie pas, loin de là, se désintéresser de la politique, cela signifie l’appréhender d’une autre manière ..., mais pour cela il nous faut aussi posséder un minimum de bagages et de connaissances sur les “affaires de la cité”, ses jeux et ses enjeux!...On ne peut pas se permettre d’être naïf ou ignorant et surtout pas de “faire de l’angélisme”...

Il s’agit, tout d’abord, de bien distinguer “le politique” de “la politique”. Le premier nous concerne tous dans la mesure ou nous sommes, selon la formule désormais consacrée , “des animaux sociaux”, contraints- consentants ou non - de vivre ensemble. La deuxième renvoie au domaine, à la “profession” ( en est-ce vraiment une ? ) qui a pris tous les individus en otages et qui prétend régenter le monde et la société au nom d’une légitimité auto-proclamée !...Vous conviendrez que la différence est de taille !

Ce qui me semble  dangereux, c’est l’attitude d’une catégorie de personnes qui s’occupent de spiritualité et qui en même temps se considèrent, ou se déclarent hors de la politique, tout en émettant des avis très catégoriques sur les événements du monde. Ceux qu’on pourrait appeler, de manière hâtive, des personnes “apolitiques” sont le plus souvent des personnes dépolitisées, qu’elles soient indifférentes ou ignorantes. Cette situation les amène, dans la grande majorité des cas, à reproduire un discours politique officiel, conformiste et “labellisé”, que les dirigeants politiques, quels qu’ils soient, ont envie d’entendre. Elles se retrouvent, le plus souvent, à soutenir, sans le savoir, l’ordre établi et “la pensée unique”!

C’est pourquoi, il est nécessaire et salutaire, sur ce point, de faire la distinction entre ce que j’appellerai les “faux apolitiques” (à savoir les personnes dépolitisées ) des “vrais apolitiques”, ceux qui se mettent totalement en-dehors de la perspective et de la vision politiques/politiciennes et qui refusent de “jouer” au jeu que nous imposent les “professionnels du pouvoir”. Je respecte et admire cette deuxième catégorie de personnes et serai près d’affirmer qu’un individu qui prétend vivre selon une perspective spirituelle est nécessairement et fondamentalement “apolitique” au sens strict du terme. Ce qui est trés différent de l’“apolitisme de façade” qui débouche sur le conformisme, lequel est lui-même la porte ouverte à tous les totalitarismes !

La voie spirituelle est exigeante, elle ne nous permet pas de jouer sur les deux tableaux !
Elle nous oblige à aller au-delà d’une vision “mondaine” des choses, elle nous contraint à la plus grande sincérité. Lorsqu’on se prononce sur un sujet d’actualité ou sur un problème socio-politique précis, il nous faut toujours être très attentif à prendre de la hauteur par rapport à l’événement, se méfier des prises de position faciles , souvent “populistes” qui vont “caresser nos semblables dans le sens du poil” ! Il faut toujours appréhender la situation ou le thème selon l’angle le plus “généreux”, le plus “universel”, le plus “sage”, le plus compréhensif et compatissant qui soit...

            Bref, ce n’est pas parce qu’on se place dans une perspective spirituelle qu’il nous faut délaisser  ce qui se passe autour de nous et dans le monde, sauf si l’on choisit le chemin bien étroit et difficile du renoncement et de la vie érémitique, mais il nous faudra toujours replacer chaque situation dans un contexte plus vaste, celui de la spiritualité. En résumé, c’est la perspective spirituelle qui prime et doit primer sur la vision politique et sociale, car celle-ci ne se situe qu’au niveau horizontal et non vertical , celui de l’être. Le spirituel possédera toujours une dimension de plus que le socio-politique ! Gardons cela bien en vue, pour ne pas nous laisser entraîner  par une attitude réactionnelle qui risque de nous faire perdre notre équanimité indispensable à notre développement en tant qu’être complet et non limité par des caractéristiques sociales, culturelles, familiales, ethnologiques, historiques. Ces derniéres ne représentent toutes que la surface de nous-même en tant qu’individu possédant un nom et une forme corporelle bien précis, caractéristiques reconnues, malheureusement, comme étant les seuls critères de notre identité dans ce monde et cette société actuels!


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(1)   p.83 de l’ouvrage de Viktor Frankl traduit en français sous le titre Nos raisons de vivre, A l’école du sens de la vie, Interéditions-Dunod, Paris, 2009, dont le titre original  paru en 1969 aux Etats-Unis est The Will to Meaning. Foundations and Applications of Logotherapy.

Il est dommage que Viktor Frankl, que je n’ai découvert que récemment, ait été ignoré ou délaissé en France par les milieux psychanalytiques, car il me semble avoir une vision beaucoup plus vaste, qui peut combler les vides laissés par une explication freudienne ou adlérienne de l’existence !

 

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